Togo: Calebasse Club #5 : Le Menteur Ambulant ou le «commerçant de l’art» qui allie slam, musique et danse

Article : Togo: Calebasse Club #5     :  Le Menteur Ambulant ou le «commerçant de l’art» qui allie slam, musique et danse
Crédit: Kossivirtus
13 juillet 2021

Togo: Calebasse Club #5 : Le Menteur Ambulant ou le «commerçant de l’art» qui allie slam, musique et danse

« Aller-retour ». C’est le nom de la pièce qui a fait l’objet, le 9 juillet dernier à l’Institut français du Togo, de la cinquième édition du spectacle dénommé ‘’Calebasse Club’’. Après Nira Blessing (Burkina Faso), Gopal Das (Bénin), Mesko-CGCE (Togo) et le duo Maras Poésie/Alexinho (France), cet événement bimestriel devenu une vitrine de visibilité à tous les arts de la scène vivante à Lomé, a déroulé le tapis rouge au duo Menteur Ambulant-Jeff Eusebio. Si le premier passe par le mensonge pour vous jeter la vérité en plein dans votre face de spectateur ébaubi, le second, ce vilain poète au service du beau, n’en séduit pas moins par une fulgurance poétique et orale dont lui seul possède le secret. Ces deux princes de l’oralité, qui ne sont autres que les initiateurs mêmes de cet événement, se sont appuyés sur des thèmes aussi inspirants que l’immigration clandestine, le Covid, les violences contre les femmes et l’inégalité sociale. Ces thématiques sont une ossature de cet « Aller-retour » qui aura fait voguer les spectateurs sur un océan de ‘’va-et-vient’’ aussi drôle que thérapeutique. A l’issue du spectacle, le Menteur Ambulant (Zakli Kokouvi Mawouena à l’État civil) qui se définit comme un commerçant de l’art, et son compagnon de toujours Jeff Eusebio, ont bien voulu nous livrer le pourquoi de cette création.
Pourquoi ce nom de Menteur Ambulant ?

Menteur Ambulant : Vous savez, comme on le dit souvent au théâtre, la vie c’est du théâtre, il y a des personnages qui jouent des rôles, et moi j’ai pris ce personnage pour donner de la gaieté aux gens. Dans la difficulté, il faut que nous soyons heureux, le pourquoi du Menteur.

Dites-nous ce que c’est que Calebasse Club, et en quoi il consiste

C’est une vitrine de visibilité à tous les arts de la scène vivante, surtout de l’oralité, aujourd’hui nous sommes à notre cinquième édition, c’est un événement bimestriel. Pour cette édition nous avons décidé de produire nous-mêmes, nous les initiateurs de Calebasse Club, Jeff Eusebio et moi, ça fait un an qu’on n’est pas monté sur scène, bientôt deux ans. Durant tout le temps du confinement, on a pris le temps de travailler ce texte, de travailler sur la création, avec des danseurs. Ce spectacle pour nous est une résilience face à la situation sanitaire, et lors du confinement, nous avons vécu des choses inédites dans le bon sens, comme dans le mauvais. Si nous prenons la thématique de l’immigration, ça a été très périlleux pour les migrants. Si nous prenons la thématique de la violence faite aux femmes, lesquelles femmes sont le poumon de l’économie, c’est elles qui s’en vont au marché au petit matin, en reviennent le soir pour que la famille mange. Et voilà que les activités sont bloquées, nos mamans, nos sœurs sont restées à la maison et voient leurs enfants mourir de faim, tout cela nous a vraiment touché. Comme pour le cas des hommes aussi. Cette situation a amplifié le phénomène des enfants de rue, des situations compliquées aussi qui ont poussé certains à se suicider. Malgré quelques actions, quelques dons, est-ce que l’objectif de ces dons ont été atteints, je ne pense pas. C’est tout ceci que nous avons mis dans ce spectacle avec des tableaux différents. Vous avez vu le marché qui s’est animé avec les femmes, donc la femme est au cœur de ce spectacle « Aller-retour ». C’est une question de va-et-vient.

On peut donc dire que la pièce Aller-retour est conçue uniquement pour la situation que nous vivons par les temps qui courent ?

Ça va au-delà. Si vous voyez le squelette de la pièce, on a évoqué beaucoup de choses, même si on s’est plus concentré sur la situation sanitaire. C’est un spectacle d’actualité bien sûr, mais qui s’ouvre sur d’autres horizons.

Crédit: Institut français du Togo
Dans la pièce justement, on peut être frappé par les rôles peu reluisants que vous avez fait jouer à des personnages comme Agossou et Joe, respectivement migrant et mari violent qui a finalement sombré. C’est quand même moins optimiste là…

Agoussou est le fruit de la situation que vivent beaucoup de nos frères en Europe, qui sont, excusez-moi le terme, devenus des mendiants, qui n’ont pas de papier pour pouvoir travailler. Ils ne peuvent pas non plus revenir au pays. Beaucoup sont dans cette situation en Europe, et leurs familles pensent que ça va, alors qu’il n’en est rien. C’est un drame dont on parle moins. J’ai eu connaissance de ces cas de sans-papiers qui manquent de boulot, mais cela fait vingt années qu’ils vivent là-bas. Et il ne peut même pas s’acheter le billet du retour. Quand même, on ne peut que peindre le tableau en noir, pour que la jeunesse puisse comprendre effectivement la face cachée de l’El Dorado. On est mieux chez soi. Il est vrai que c’est difficile mais ce n’est pas une raison de prendre des risques.

Vous persuadez donc les jeunes de ne pas quitter le continent…

Pas forcément, moi je suis très fan de l’immigration, mais quand elle n’est pas légale, si ce n’est pas pour les études ou le boulot, à quoi bon aller à l’aventure. Vous ne savez pas ce qu’il peut advenir.

Vous avez mis à contribution des danseurs pour ce spectacle. Comment cela a été fait en amont ?

Menteur Ambulant est un homme de théâtre, un comédien ; je viens de ce monde, et c’est très facile pour moi de fédérer tous les arts dans un seul spectacle. Vous avez pu voir des instruments de musique, des danseurs. Je tire chapeau à tous ces acteurs qui interviennent avec moi. C’est des professionnels hors norme. Je suis très rigoureux, je donne beaucoup de pression à ces jeunes-là mais ils ont tenu, et les résultats sont à saluer.

Ça fait quoi de renouer avec la scène après une si longue pause ?

Je suis très content de remonter sur scène aujourd’hui. Arrivé à un moment, j’ai failli pleurer sur scène parce que ça m’a manqué. Je suis un homme de scène, j’ai fait des études supérieures, mais je vis de l’art et de la scène vivante, et quand la scène n’existe pas, je ne mange pas, la famille ne mange pas, je ne suis pas en joie, c’est la colère, la tristesse. Ce soir, j’ai retrouvé la joie.

Peut-on dire que vous avez une façon bien à vous de slamer, et suivant le public que vous avez ?

Comme vous l’avez vu aujourd’hui, moi j’adapte toujours mon art selon les publics. Je tire tout de l’endogène africain, parce que c’est ce que vous vivez chez vous. Il faut adapter notre art à notre environnement, c’est ça la force du Menteur. Je vais dans le Sahel, j’adapte mon slam à la culture sahélienne, si je vais en Occident, j’adapte mon slam à l’environnement occidental. Moi je suis un commerçant de l’art. Je slam dans des prisons, à l’église, dans des couvents, partout. C’est une question d’adaptation.

Comment voyez-vous la situation des salmeurs au pays ?

Je suis pour qu’on trouve un modèle économique pour mieux accompagner les artistes-slameurs. C’est vrai que les jeunes sont pétris de talents, mais s’ils n’y gagnent rien, ils vont voir ailleurs. Je prie que le statut de l’artiste soit vite voté afin que l’artiste aussi vive de son art au Togo.

Quels sont les projets en cours ?

Dans deux mois on se retrouve encore avec Calebasse Club, et dans quatre mois, c’est le Festival Grand Show Calebasse Challenge avec la coupe nationale de slam qui se tiendra du 10 au 14 novembre à Lomé.

Kossivirtus

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