Samuel Akpéné Wilsi : « Je fais des mises en scène parce que j’ai des choses à dire »

Article : Samuel Akpéné Wilsi : « Je fais des mises en scène parce que j’ai des choses à dire »
Crédit: Samuel Wilsi
30 octobre 2021

Samuel Akpéné Wilsi : « Je fais des mises en scène parce que j’ai des choses à dire »

L’auteur et metteur en scène togolais Samuel Akpéné Wilsi n’est plus à présenter. L’homme au parcours atypique s’était confié à notre micro en 2019, quelques jours après avoir donné Job de Bakou sur la grande scène de l’Institut français du Togo. Dans cette interview qui n’a pas pris la moindre ride, Samuel Wilsi, qui donnera le 12 novembre prochain à l’Espace culturel Fiôhomé le Carnaval des mots, nous parle de ses expériences en tant que metteur en scène, non sans se positionner par rapport à ses « aînés » et ses goûts. Du choix des comédiens à son rapport à la didascalie ou à la règle des trois unités, cet auteur qui dit préférer « faire une peinture qu’une photocopie » se confie dans les grandes largeurs.

Ce vieux routier des planches a à son actif plusieurs mises en scène, au rang desquelles « Apocalypsong », « Sur la route du Gariland » « Job de Bakou », ou tout dernièrement « Jomeo et Ruliette » une parodie africaine de Roméo et Juliette de Shakespeare.  Avec quelques courts métrages, une série télévisée « Chansonnettes » diffusée par A+ en 2015, deux grands prix du Théâtre Afrique du Théâtre Francophone (en tant que metteur en scène et auteur(2014)) au compteur, le palmarès de ce natif de Hahotoé qui a passé une bonne partie de son existence en  Côte d’Ivoire et en Allemagne force le respect. L’auteur de Anton et Mariam (2008) (Texte Lauréat Grands Prix Afrique du Théâtre francophone 2008), de Das ewige Lied (allemand) (Texte et mise en scène en 2008 à Freiburg et lauréat du Prix de la Landesstiftung Bade-Wurtemberg), et du Caleçon du roi (texte nominé aux Grands Prix Afrique du Théâtre francophone 2009) n’est pas avare en mots quand on lui demande comment il a bâti son travail d’auteur et de metteur en scène.

Kossivirtus : Vous êtes plus auteur que metteur en scène ou l’inverse ?

Samuel Wilsi : Je dirai que chez moi les deux choses se confondent, parce que la plupart des pièces que j’ai mises en scène, je les ai aussi écrites. Il m’est aussi arrivé de mettre en scène une pièce écrite par un autre auteur mais c’est assez difficile car j’ai tendance à réécrire les scènes ou à en changer l’agencement à l’aune des besoins de la mise en scène que j’ai choisi de faire. Ceci aussi pour dire que j’écris du théâtre d’abord pour la scène moins pour la simple lecture.

Comment vous occupez-vous des éléments ayant trait à la scène, les jeux de lumière, le décor et le reste ?

Au niveau de l’écriture d’abord, concernant les lumières par exemple, quelques fois je sais où et quand telle ou telle lumière devrait intervenir et je la note bien évidemment comme partie intégrante de l’écriture.  De manière concrète c’est néanmoins pendant la production que l’on s’occupe de la lumière. Cela naît au fil des répétitions et je fais mes notes jusqu’au moment où il faille faire intervenir le régisseur lumières. Quelques fois on a affaire à un vrai spécialiste, à un créateur de lumières qui est capable de faire intégrer le projet en amont et qui expose son point de vue sur les possibilités et les univers qu’il pourrait proposer. Une scène de théâtre jouée sous une lumière froide ou une lumière vive n’a pas la même portée. Bien évidemment on fait aussi la lumière en fonction des disponibilités d’éclairage que le centre culturel où le projet est présenté a ou du matériel disponible. On s’adapte toujours à l’offre pour concevoir.

Comment faites-vous le choix de vos comédiens ?

Le choix des comédiens a ses impératifs. Au Togo par exemple, on dirait qu’il y a une poignée de comédiens connus. Ce que chaque metteur en scène fait est de choisir le profil qui convient le mieux au personnage à interpréter.  Il m’arrive aussi de réajuster certaines choses pendant la mise en scène, quand je me rends compte que telle phrase dans tel dialogue sonne faux, que telle didascalie ne convient plus à la scène en live etc…Les personnages ne changent pas mais leur évolution et leur rapport peut changer pendant la découverte du plateau.

Vous est-il déjà arrivé d’exploiter des textes autres que les vôtres ?

La seule fois où j’ai fait une mise en scène avec un texte que je n’ai pas écrit, c’était le texte d’un Togolais, Alpha Ramsès, et d’une Canadienne. C’était un projet sur lequel j’ai été invité en qualité de metteur en scène. Je fais du théâtre ou des films car j’ai des choses à dire, à raconter et j’ai une manière précise de le faire. Aussi il m’est éminemment difficile de mettre en scène un texte que je n’ai point écrit car il se peut que je n’en perçoive pas la moelle. C’est vraiment plus du respect pour le travail d’écriture des autres que je ne voudrais pas déformer dans ma perception des choses. Raison pour laquelle il m’est difficile de prendre le texte de quelqu’un d’autre pour faire la mise en scène, tout simplement parce que son discours est différent du mien, ce qu’il vise est différent de ce que je vise.

Les didascalies occupent-elles une place de choix dans vos mises en scène ?

Déjà au niveau de l’écriture, les didascalies doivent être là. Elles guident la mise en scène. Elles servent à situer le cadre, le contexte etc,. Elles occupent une place très importante dans l’écriture. Ce n’est pas seulement le dialogue, mais le contexte dans lequel ces dialogues se déroulent, le contexte dans lequel les scènes se déroulent. C’est donc un détail assez important. Des personnes avec qui j’ai eu à travailler m’ont déjà fait remarquer que je fais des didascalies trop détaillées, mais pour moi cela est nécessaire, parce qu’à l’écriture je vois la scène, je vois ce qui se passe sur la scène. Que la personne marche de gauche à droite, qu’il soulève quelque chose, j’ai besoin de mentionner cela parce qu’en cela vit.

Évidemment il arrive d’écrire des textes sans didascalies. C’est souvent le cas des monologues car ce sont ensuite les possibilités de mise en espace qui créent le cadre visuel.

Respectez-vous la règle des trois unités en écrivant vos textes ?

Oui et non, parce que le théâtre a beaucoup évolué et qu’il y a tellement de diversités dans la matière…Pour moi l’essentiel c’est de raconter une histoire sur une scène dans un cadre donné et essayer de trouver des moyens pour que cela puisse intéresser ceux qui suivent cette histoire-là. Je ne suis donc pas dans cette obsession qui veut qu’on respecte la structure de ceci ou de cela. Si cela sert l’histoire, je le fais, dans le cas contraire je ne le fais pas. Je n’ai pas fait de parcours académique, à ce niveau je fonctionne plus par l’intuition et aussi par rapport à ce que je veux atteindre comme objectif. Donc j’adapte l’écriture à l’objectif de la mise en scène.

Quitte à choquer les anciens, les classiques ?

Disons que le théâtre ce n’est pas une science fixée dans le marbre. Il y a des règles de la création. Le peintre, s’il sait mélanger les couleurs, il te fait sa toile. On pourra dire que c’est du cubisme, de l’impressionnisme et lui-même sera peut-être surpris. Au niveau du théâtre, c’est la même chose, je ne m’oriente pas vraiment là-dessus. Les auteurs de théâtre que j’apprécie, ce sont moins les auteurs qu’on appelle des auteurs classiques, des auteurs que je trouve vraiment libres. Eugène Ionesco avec son théâtre de l’absurde est un exemple en l’occurrence. Je l’aime plus que des auteurs très réalistes qui font une photocopie de la réalité. Je préfère faire une peinture qu’une photocopie.

Les Shakespeare, les Molière, ne seraient pas votre genre…

Je les ai lus pour comprendre le théâtre. Comprendre l’écriture, surtout Shakespeare, parce qu’en tant qu’auteur, on va dire que c’est le dieu, et je me suis permis dans un acte de lèse-majesté de réécrire une de ses pièces majeures, Romeo et Juliette. La réécrire en gardant son style mais avec des mots à moi et une intrigue qui est sensiblement la même tout en déplaçant les lieux de l’action vers la grande ville de Vogan. Je ne prétends pas avoir la plume de l’auteur anglais, ce sont juste les personnages, le cadre que je reprends pour en faire une parodie. Leur époque diffère du nôtre.

Écrivez-vous en fonction de l’actualité ou comment procédez-vous ?

Il y des textes que j’écris parce qu’une idée m’est venue, sans aucune attache à un évènement et qui sont là à attendre je ne sais quoi. Il y a aussi ceux que je peux écrire par rapport à une situation donnée, à l’actualité, par rapport à une problématique qui m’interpelle et qui peut faire le sujet d’une pièce de théâtre donnée. Il y a donc ce regard constant sur l’actualité. Je m’intéresse beaucoup à l’actualité, pas seulement à la politique togolaise mais à l’actualité mondiale, étant un gros consommateur d’informations. J’essaie de mettre cela aussi dans mes écrits, parce que le but aussi est que cela fasse réfléchir les gens qui n’ont pas le temps de s’asseoir et d’écouter et de lire tout ce que j’écoute et lis.

Derrière ces textes, il n’y a pas de prise de position politique ? À voir vos précédents textes, Sur la route de Gariland et même Job de Bakou, pour ne citer qu’eux ?

Moi c’est juste un constat que j’ai fait, l’idée n’est pas purement politique en soi. Je suis un citoyen du pays, je fais des constats et le moyen de pouvoir montrer cela c’est d’écrire et de mettre  en scène pour que ça réveille certains. C’est plus un engagement social, communautaire que politique. Même si mon dernier texte, Job de Bakou est essentiellement politique, l’idée c’est avant tout de parler de la vie d’un homme. Ce n’est pas du théâtre engagé, engagé socialement oui, mais pas politiquement, même si je n’hésite pas à parler politique.

Vous êtes-vous déjà essayé aux saynètes ?

Non, j’avais commencé avec le théâtre en même temps. J’avais toutefois eu des contrats ici pour des spectacles de sensibilisation, monter de petits sketchs de quelques minutes. Ce que j’ai constaté avec les saynètes, c’est que les gens viennent, on joue et ça rigole, ils ressortent avec le rire en oubliant le message. C’est pourquoi je préfère des textes plus longs, où il y a le rire, mais le rire jaune aussi ; c’est ce qui me parle le plus.

Un jeune qui aimerait devenir metteur en scène, que lui conseillerez-vous ?

La première chose que je lui conseillerai, c’est de trouver un metteur en scène, qui s’intéresse à lui, et le suive. Au Togo, la formation, il n’y en a presque plus dans le domaine. Il faut suivre quelqu’un dont on apprécie le travail.

Vous êtes vous-même formé sur le tas ou comment ça s’est passé à votre niveau ?

Je ne peux pas prendre mon parcours comme un exemple, car j’ai eu un parcours très atypique. Je n’ai pas suivi les filières normales. Bien que je sois togolais, je n’ai pas grandi ici au Togo, j’ai grandi en Côte d’Ivoire où j’ai fait ma scolarité. En 1991 j’étais à Lomé, en 1992 je suis parti pour l’Allemagne. Quand j’étais au Togo, c’était à Sokodé que j’ai monté ma première pièce de théâtre en 1991. À l’époque c’était une pièce que j’avais lue et aimée. Avant cela je n’avais jamais été dans un quelconque milieu de théâtre, pas plus que je n’ai connu qui que ce soit dans le domaine. Je lisais de tout, et beaucoup et donc toute la littérature que je pouvais trouver sur le théâtre. Ensuite vivre en Allemagne et apprendre une langue dont je ne connais pas les rudiments, ça n’a pas été facile. Il a fallu des années., une dizaine d’années. C’est par l’écriture en fait que je suis arrivé définitivement au théâtre. Il fallait trouver un autre espace d’expression pour mes écrits. Je n’écris pas forcément pour la lecture, mais pour la scène.

Kossivirtus
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Commentaires

Mawulolo
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Le théâtre togolais a toujours eu un bon niveau dans le temps et même de nos jours. Mais il nous faut encore plus de communication et de vulgarisation autour de cet art...
Chapeau pour ce billet

Kossivirtus
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Merci grand frère.
Je n'ai rien à ajouter à votre commentaire, tant il est pertinent.
Charge donc aux tenants et aux aboutissants de cet art de travailler pour rendre son lustre au théâtre togolais