Rencontre avec Goha Attiso, le sculpteur des Géants

Article : Rencontre avec Goha Attiso, le sculpteur des Géants
Crédit: Kodjo Avuletey
18 juillet 2021

Rencontre avec Goha Attiso, le sculpteur des Géants

On le surnomme le sculpteur des Géants. Ses instruments de travail sont du bois, du fer, du bronze, de l’aluminium… S’il trouve dans la nature tout ce qui peut servir son art, ce n’est pas de refus. Ainsi, boîtes de conserve, fils de fer, débris de métal sont autant de condiments mis à contribution pour réaliser des œuvres dont la stature varie entre un et huit mètres. Du haut de ses 21 balais, Goha Attiso nous livre le dessous de ses cartes sculpturales. Rencontre.

Malgré sa jeunesse, Goha Attiso est passé maître dans l’art de dessiner des œuvres grandeur nature. C’est un euphémisme pour qui a déjà vu les réalisations dont est capable ce garçon au sourire désarmant. En leur conférant d’aussi gigantesques formes, l’artiste entend, non pas impressionner pour impressionner, mais raconter son vécu et sa conception du monde. Aussi ne veut-il pas s’appuyer sur de petits objets pour y réussir. « Si je fais de petites choses, et que veux passer mon vécu à travers ça, ça ne peut pas vraiment se voir, c’est pourquoi j’ai décidé de faire des choses qui sont géantes », se justifie Goha Attisoh en exposition à l’Institut français du Togo, du 8 juillet au 8 octobre 2021.

Un peu comme M. Jourdain du Bourgeois Gentilhomme, qui faisait de la prose sans le savoir, Goha Attiso a commencé à sculpter depuis tout petit, à partir de sept ou huit ans, sans savoir qu’il faisait de l’art. « Je touchais des choses de façon à leur donner une forme ; pour moi, je ne savais pas que l’art se vendait. Je ne savais pas non plus ce que c’est que l’art, ni la sculpture. Moi, je prenais du plaisir en sculptant seulement ». Plus tard, à partir de ses douze ans, l’artiste prendra dans les grandes largeurs conscience de son talent.

Viendront pêle-mêle des expositions. D’abord à la Foire artisanale du Togo à Notsè (FAT Togo), une foire itinérante qui participe au développement socio-économique à travers la promotion de l’artisanat et de la culture, la valorisation des compétences et le renforcement des capacités des artisans. L’artiste exposera par la suite au Grand Rex à Lomé, à l’hôtel Onomo, avec le collectif des artistes, dans l’ambassade d’Allemagne, à la galerie Négrillis en 2019, en Suisse. L’Italie et la France ont également été le théâtre des œuvres de Goha Attiso. En Égypte, il participera en 2019 à un concours de la Créativité à l’issue duquel il recevra un Oscar, au nez et à la barbe de quelque trois mille participants. N’en jetez plus.

« Je travaille avec le bois qui veut qu’on travaille, le bois qui me parle »

Mais comment s’y prend-il pour réaliser d’aussi inspirantes œuvres que sont ses sculptures ? « Ça dépend de comment l’inspiration est venue, je ne touche pas les bois vivants, mais ceux qui sont déjà morts, les bois blessés par les métaux, les humains, donc je leur redonne une seconde vie à ces bois-là. Je ne touche pas les bois qui n’ont pas encore servi l’humanité sur la terre. Je vais des fois dans des forêts, dans des rues. Je me rends à Kpalimé, des fois à Notsè, je vais à l’intérieur du pays, quoi. Je fouille partout pour trouver du bois. Mais il y a des bois qui me parlent, d’autres non. Donc je travaille avec le bois qui veut qu’on travaille, le bois qui me parle. Le bois est mon maître, quand je vois les bois, j’y vois des images, je vois ce qu’il veut dire, on essaie de discuter, et moi je ne fais que le gratter pour faire sortir ce qu’il me montre. Et quand je finis de tailler, on essaie de communiquer ensemble, la vie qu’elle a vécue, ce qu’il a traversé. Je parle à travers mes œuvres, je leur transmets un message qu’ils vont transmettre aux gens à leur tour ».

Au commencement était l’histoire

Dans les jardins de l’Institut français du Togo, le visiteur, du plus amateur au plus avisé, du plus fin observateur au trivial personnage qui sourit dans sa barbe d’indécrottable moqueur, est comme saisi devant ces statuettes de toutes sortes, toutes aussi colossales les unes que les autres. Des Gardiens de la paix à l’Humanité, du Repos aux Frères, du Visionnaire au Mur, comment ne pas se poser des questions devant ces créations stupéfiantes de mystères, impressionnantes de beauté et sublimes de révélation ?

Goha Attiso à l’Institut français du Togo, Crédit : Institut français du Togo

Une fois de plain-pied dans l’enceinte, tournez à votre gauche, dans le jardin, l’espace dédié au pavillon Humanité (matériaux : bois fer, bronze, aluminium).

« L’Humanité pour moi, c’est l’Afrique, c’est le monde. On dit que l’Afrique est le berceau de l’Humanité, elle est la mère de tous les continents, mais pourquoi souffre-t-elle ? Pourquoi l’Afrique est pauvre parmi tous les continents ? Si on rentre dans l’histoire, on y apprend qu’il y a eu des empires, des royaumes en Afrique ; si tous ces royaumes existent jusqu’à aujourd’hui, il faut imaginer comment l’Afrique serait. Mais tous ces royaumes sont détruits, ils ont disparu, on ne voit rien, mais le pire est qu’on dit que l’écriture vient de l’Égypte antique, mais si on se rend en Égypte actuellement, les Égyptiens n’écrivent pas leur propre langue, le hiéroglyphe a disparu et a fait place à l’arabe et à l’anglais. Vous voyez que l’Afrique perd, elle marche sur la tête », se désole l’artiste, ajoutant :

« Si on suit l’évolution des choses, la modernisation, vous allez vous rendre compte que les Africains ne portent presque plus leurs propres habits. Il est l’heure de se réveiller, de promouvoir les cultures qui sont les nôtres, c’est très important. Et si on tourne la tête comme certaines de ces œuvres, on dit en Afrique que si tu meurs, tu iras chez tes aïeux. Si nous retrouvons nos ancêtres, s’ils nous posent la question sur ce qu’ils ont construit comme royaumes, que leur dirions-nous ? On ne peut rien dire, on ne suit que les pays occidentaux. On pense dans l’histoire coloniale qu’on nous a triché et que c’est la raison pour laquelle l’Afrique ne se développe pas. Non, il faut se réveiller, saisir des opportunités. Il est l’heure de se réveiller. Donc je veux réveiller les Africains avec ce pavillon Humanité », soupire Goha qui ne peut s’empêcher de faire un commentaire sur une statuette à tout le moins mystérieuse : la femme à la coupe de vin.

« Là, vous voyez une femme qui tient une coupe remplie de vin, mais cependant, elle n’a pas la bouche pour le boire. Quand vous voyez nos dirigeants, ils devraient faire plus que ce qu’ils font. Ils devraient changer les choses, faire plus que ce qu’ils sont en train de faire. La statuette nous signifie qu’il y a quelqu’un qui a tout sur la terre, mais il n’a pas la tête pour l’exploiter. Si on possède tout sur terre, mais que ça ne sert pas les autres, c’est vraiment triste. Il faut laisser une bonne empreinte après son passage sur terre. Voyez Nelson Mandela, Thomas Sankara, Martin Luther King. Nous suivons les pays occidentaux, nous délaissons nos cultures. On est en train de marcher sur la tête, comme le fait cette statuette qui marche sur la tête ».

De la prise de conscience

C’est une galerie aux allégories que le pavillon Humanité, car il y a autant de figurines géantes qu’il y a de messages. Elle ont en effet en commun de livrer des messages de prise de conscience, de spiritualité, de foi en l’avenir…

Le sculpteur expliquant ses œuvres lors du vernissage / Crédit : Institut français du Togo

Comme la statue criblée de fils de fer dont l’auteur affirme qu’elle « veut dire qu’il est l’heure de mettre à profit ce qui nous tient à cœur. Il est l’heure de s’approprier nos cultures, de ne pas avoir honte de ce que nous sommes, il est l’heure de se débrouiller, de créer des choses, de rendre enfin la vie meilleure pour les futures générations. Si vous voyez bien la statue, j’ai piqué des choses chez nos ancêtres pour fabriquer cette statue qui s’appelle Vaudou Sakpatè, ou bien Agnigbatôr. Vous allez voir sur ce dieu des escargots, accrochés tout autour de lui. Ici je n’ai pas utilisé des escargots, mais des clous et autres choses. On doit s’approprier nos richesses culturelles. »

Autre statue, autre message. Devant nous, une statue à deux têtes, il vous arrive plein de questionnements : « Cela veut dire que nous sommes faits de deux entités : l’esprit et le corps. Mais qu’est-ce que nous consommons à l’intérieur de nos corps ? Si on est là pour manger seulement, ça ne sert à rien. Il est très important de protéger la nature qui est là avant nous, très important. Le corps et l’esprit, et la personne met sa main gauche dans son ventre en tenant son cœur. Il est l’heure d’écouter son cœur, il est temps de toucher le cœur de tous les problèmes qui font qu’on ne voit pas le changement. »

Imaginez une statue de trois mètres, tenant en main un chapelet de Fâ et vociférant. « Si chez nous une femme pousse des cris, c’est qu’il y a péril en la demeure. Cette statue est en train de crier, avec son chapelet de Fâ qui permet au prêtre vaudou d’aller dans le futur, de voir l’avenir, et de revenir tracer le chemin. La statue appelle à la prise de conscience, à se tourner vers ses origines. Il est l’heure que l’Afrique s’autofinance elle-même, se développe ».

Pour faire passer ce message, avez-vous pour autant besoin de donner une telle ampleur à cette statue qui est la plus grande du pavillon Humanité ? « C’est le bois qui m’a permis de la tailler ainsi », explique Goha Attiso.

Quid de la statue qui enroule ses deux bras au-dessous du genoux ? « Elle représente une personne qui veut sauter, en vain. C’est le manque de volonté de travailler ensemble, de financer les jeunes qui ont du talent, de développer sincèrement, de faire concurrence, de réveiller l’Afrique. »

Balayer sa chambre avant de balayer la cour

« La statue à trois têtes, c’est pour dire que ce n’est pas tout le monde qui connaît les images des fétiches ayant existé en Afrique. Nos ancêtres adoraient d’autres dieux avant. Ce que dit cette trinité explique ce que contient la nature en termes de spiritualité. Les jeunes générations ignorent les dieux qui nous protégeaient avant, sans que notre conscience nous gêne. Nous prenons soin de nos corps sans nous soucier de notre âme, de notre esprit, c’est bien regrettable. Il y a un adage qui dit qu’on balaye l’intérieur avant de balayer la cour. Il est temps de balayer notre chambre avant de balayer la cour ».

Rendons-nous au pavillon Gardiens de la paix (taille : 2m à 2,40m, matériaux : bois, fer, bronze, aluminium), et prenons-en de la graine « Nous-mêmes nous sommes des Gardiens de la Paix, nous sommes des gardiens de notre propre paix. Il y a des gens qui font des promesses qu’ils ne tiennent pas, des présidents qui font des promesses au peuples et qu’ils ne tiennent pas. Ces peuples qui ont leurs pensées sur ces promesses, quand le président ne les tient pas, ça crée des guerres, des violences, des guerres civiles, des haines, et ce sont les innocents qui paient le lourd tribut. Dans nos familles, dans nos foyers, si on fait des promesses à nos femmes et enfants, on doit les tenir, si on ne les tient pas, on est en train de briser nos foyers, sans tenir compte des conséquences. Pour moi, toutes les paroles qui sortent de la bouche de l’humanité, sont déjà des humains. Les paroles ont une force, ça blesse, donne de la joie. On doit essayer de penser positivement, de créer la paix à l’intérieur de nous. Donc nous sommes des gardiens de notre propre paix. »

Construire un mur avant de partir
Le Mur, Crédit : Kossivirtus

Autre pavillon, autres géants. Au pavillon Le Mur (taille 4 x 2,5m matériaux : bois, fer) la curiosité du visiteur est tout aussi excitée. l’artiste nous explique le pourquoi de cette création.

« Le Mur pour moi est un mur qu’on ne voit pas, mais qui est en nous. Il y a un mur qui nous sépare du monde invisible. Si on dort, qu’on se réveille, le rêve qu’on fait, on ignore que c’est réel, mais c’est profond, c’est spirituel. C’est un mur qui nous bloque en fait, c’est quelque chose qu’on doit traverser pour voir l’autre côté de la vie, parce que nous sommes venus sur la terre sans rien, nous repartirons également sans rien. Mais nous ne repartirons pas de la même manière que nous sommes venus. Si on va repartir, on a besoin de notre âme pour repartir, on n’a pas besoin de notre corps. Le travail cérébral est spirituel, ce que nous imaginons est spirituel. Il faut écrire sur le mur, il faut construire un mur avant de partir», explique Goha Attiso un tantinet pensif. Et de rebondir : « Tous les traits qui sont sur mes sculptures ont toujours une explication. Nous sommes toujours dans le filet de tous les actes que nous posons, qu’il s’agisse du bien ou du mal. Vous voyez des rides, elles ont toujours des formes comme des filets, et tout ce que tu sèmes sur le soleil, en vieillissant, tu verras des rides sur ta peau, tu seras dans le filet des actes que tu as posés. Il faut donc poser de bons actes avant de partir. Quand on part, on ne revient pas de la même manière».

Goha, l’écolo doublé d’épicurien

Au pavillon Anakékpé, on trouve une voiture remplie de fagots de bois, au-dessus de laquelle des hommes saupoudrés à la chaux sont comme enchaînés, privés de leurs mouvements.

« Nous sommes devenus des machines, regrette Goha Attiso. Chez nous, lorsque tu es malade, il suffit d’aller chercher des herbes qui font office de médicament. Maintenant on utilise des herbicides qui détruisent la terre, tout ce que nous semons, ce qui fait que toutes ces plantes n’ont plus leurs vertus d’autrefois. Pire, il y a des cultivateurs qui pensent que les produits chimiques qu’ils utilisent sont exempts d’effets secondaires. Aujourd’hui, on n’a plus la force comme avant, et au moindre mal, on se rend à l’hôpital prendre des injections, comme si on était des machines. Avant cela n’existait pas. L’espérance de vie a aussi diminué. Nous suivons le changement de la nature, on prend des produits chimiques pour être en phase avec elle. Si on continue de créer des machines qui utilisent de l’essence, après l’essence devient un danger pour les poissons, on produit des fumées toxiques qui détruisent la couche d’ozone. Il y a des usines qui nous facilitent la vie, mais détruisent au même moment la nature. Il ne pleut plus comme avant. Il y a le dérèglement climatique. Nous sommes devenus des esclaves de la nature par nos actions»

Goha posant, Crédit : Institut français du Togo

On se dit que la désolation fera place à l’optimisme quand notre artiste aura quitté le pavillon à problèmes que représente Anakékpé. C’était sans compter sur le pavillon Le Repos où trône une figurine entourée de trois chaises. « L’homme court tout le temps, l’homme s’use. On n’a pas toujours le temps, on court derrière l’argent, on veut avoir de l’argent à tout prix. Et après avoir amassé tout cet argent, à la vieillesse, tu n’arrives même pas à en profiter. Il faut bien profiter de ce qui nous entoure, il y a des gens qui courent derrière l’argent jusqu’à briser leur couple. Les chaises sont là pour nous donner du repos. S’asseoir, voir la nature, respirer, profiter de la vie. Vous voyez trois chaises car l’homme est composé de trois choses : le corps, l’esprit, et l’âme. »

Sur les pas des James Robert Koko Bi, Marc Petit, Ousmane Sow…

Quand on lui demande quelles sont ses sources d’inspiration, Goha Attiso en évoque plus d’un. « Il y a des sculpteurs qui m’inspirent, et quand je vois leurs œuvres, je les apprécie, comme Marc Petit, James Robert Koko Bi, Ousmane Sow, César. J’aime leurs œuvres parce qu’eux aussi font des géants. Mais ma vraie source d’inspiration c’est la nature».

Charge aux amateurs de l’art d’aller voir ces bijoux.

Kossivirtus
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